Cher M. Martinez,

Vous devez recevoir une multitude de courrier ces temps-ci, je me permets néanmoins de vous glisser une seconde lettre une semaine après la première que vous ne semblez pas avoir lue. Ou pas comprise, en tout cas.

M. Martinez, ça suffit maintenant ! La plaisanterie – absolument pas drôle – a assez duré. Je ne prétends pas porter la voix de l’ensemble des entrepreneurs que compte la France (vous ne m’en voudrez surement pas, vous qui prétendez chaque jour représenter l’ensemble des salariés alors qu’ils sont moins de 3% à vous suivre), et je ne saurais dire si c’est la tristesse ou la colère qui prédomine chez eux, ni même chez moi. Mais je crois pouvoir vous affirmer que nous en avons assez.

Nous en avons assez de vous voir opposer en permanence les salariés et les chefs d’entreprise. Vous l’avez tellement fait que les entrepreneurs ne veulent plus entendre parler du mot de patron, félicitations. Une entreprise, ce sont des hommes et des femmes qui oeuvrent ensemble dans un intérêt commun : celui que tout aille pour le mieux. La bonne santé de l’entreprise va de pair avec sa pérennité, et avec celle des emplois qu’elle porte, si vous ne comprenez ça je vous suggère de changer de métier.

Nous en avons assez de vous entendre justifier vos positions caricaturales par votre haine contre le gouvernement. « Valls et Hollande l’ont bien cherché », dîtes-vous. Je ne défendrai pas le pouvoir exécutif, duquel nous étions tous en droit – vous compris – d’attendre bien des choses et qui aura déçu beaucoup de monde. Mais ce que vous êtes en train de faire de notre pays dépasse largement le sort de ces responsables politiques qui ont de toute façon de grandes chances d’être poussés vers la sortie en mai prochain. Les conséquences des nombreux blocages dont vous êtes l’auteur seront désastreuses, notamment pour le tourisme, qui pèse 7% du PIB, pour ne citer que lui.

Nous en avons assez que vous vous cachiez derrière cette loi Travail pour expliquer votre action étouffante. Elle est devenue un détail, un prétexte, autour duquel soit dit en passant vous racontez là aussi un certain nombre de mensonges (je laisse la CFDT vous répondre sur ce point, ils sont certainement plus experts que moi). Je vous soupçonne même de vous en moquer totalement, bien trop content d’être à la une des médias depuis tant de temps (seule la météo a réussi à vous en éloigner, vous devez détester la pluie, non ?)

Nous en avons assez que vous fassiez croire à nos jeunes qu’ils n’ont pas d’autre avenir possible que de se retrouver au chômage ou de se faire exploiter par les esclavagistes que nous sommes, nous dirigeants de PME. Vous rendez-vous compte de la responsabilité que vous avez quand vous sortez ce genre d’âneries ?

Nous en avons assez de vous entendre assimiler le travail à une souffrance alors qu’il est une extraordinaire voie d’épanouissement quand on sait le choisir avec soin. La France permet de changer d’employeur et même de métier quand on est malheureux, le saviez-vous ?

M. Martinez, les gens que vous emmerdez tous les jours depuis de longues semaines ne sont pas ceux que vous visez. Qui croyez-vous toucher quand vous bloquez les trains ou le métro ? Qui croyez-vous toucher quand vous coupez l’électricité dans des foyers du Lot-et-Garonne, l’un des départements les plus pauvres de France au niveau du revenu par habitant ? Croyez-vous sincèrement que ce sont ces « actionnaires richissimes » que vous honnissez ? Ce jeudi à Nantes, vous avez débarqué non sans violence dans une soirée organisée par le Centre des Jeunes Dirigeants d’entreprise, mouvement associatif réputé pour les valeurs humanistes qu’il défend. Vous avez empêché l’évènement de se tenir. Seule conséquence ? Aucunes recettes, qui devaient pourtant être reversées à deux fondations caritatives. Qui prétendez-vous défendre dans ce type d’initiatives lumineuses ?

M. Martinez, vous acculez des commerçants, qui ont déjà bien du mal à joindre les deux bouts. Vous faites perdre du travail à des artisans, vous bloquez des TPE et des PME, et en premier lieu les salariés qui y travaillent. Les gens que vous touchez ? C’est Nicolas, dont l’entreprise de transport est au chômage partiel faute de gasoil et qui flirte avec le dépôt de bilan. C’est Martine, hôtelière qui en quelques jours a perdu 80% de ses réservations pour le mois de juin, mois où la France devrait accueillir l’Europe entière, et qui ne sait comment verser ses salaires (le sien inclus, rassurez-vous) dans trois semaines. Je ne parle pas des familles que vous privez d’énergie, de courrier, ou les villes que vous paralysez en ne triant plus les déchets. Arrêtez de vous cacher derrière des faux-semblants et des discours à la mords-moi-le-nœud. Les personnes que vous impactez tous les jours, ce ne sont pas ceux qui ont des jets privés et que vous fustigez tant. Ceux-là, ça fait bien longtemps qu’ils ne prennent plus ni le métro ni le train.

Vous dites défendre l’intérêt des salariés ? Ce sont pourtant des salariés qui ont écrit et imprimé les journaux que vous avez décidé de détruire la semaine dernière simplement parce qu’ils avaient refusé de publier l’une de vos tribunes.

Vous n’êtes pas un terroriste M. Martinez. Je suis navré que Pierre Gattaz ait employé ce terme à ne surtout pas galvauder, comme je regrette que la CFDT soit traitée de collabo par vos ouailles parce qu’elle a un avis différent du vôtre. « Collabo », cela revient à assimiler le gouvernement, le Medef, ou un certain nombre d’entreprises au régime nazi, un autre terme à ne pas galvauder non plus. Mais soyez vigilant M. Martinez : lorsque vous bloquez l’ensemble des journaux qui ne partagent pas votre point de vue, lorsque vous privez des foyers de matières premières aussi indispensables que l’électricité, ou quand vous débarquez violemment dans des « soirées de patrons » (ce sont vos termes) sans aucune intention de dialoguer, vous flirtez dangereusement avec des méthodes fascisantes. Bien sûr fasciste vous ne l’êtes pas non plus, et j’imagine facilement que vous détestez ce mot encore plus que le patronat. Prenez donc soin de vous en éloigner rapidement, et de fuir l’extrémisme dans lequel vous vous enfermez. J’ajoute au passage que couper le courant chez Pierre Gattaz, syndicaliste engagé comme vous, c’est un peu minable. Faites gaffe, il pourrait lancer un hashtag ‪#‎desmerguezchezmartinez‬ en représailles.

Où va s’arrêter la surenchère ? Quelle issue peut-il y avoir à cet affrontement que vous avez choisi de mener ? Nous avons déjà plusieurs fois frôlé la catastrophe. Chaque jour ou presque apporte son lot de blessés, et de bavures des deux côtés. Que se passera t-il lorsque, immanquablement, dans quelques jours sans doute, l’un de ces blessés ne se relèvera pas ?

M. Martinez, la semaine dernière vous avez été pris à partie par un « petit » entrepreneur breton, devant lequel vous êtes resté les bras croisés, lui apportant comme seule réponse que « vous ne bloquez rien du tout » (ah bon ??). Je vous invite à prendre quelques secondes de votre temps pour jeter un œil à la vidéo qui en résulte. Même excédé, même à bout, même en détresse, il n’y avait aucune violence en lui, ni dans ses gestes ni dans ses propos. C’est cela M. Martinez vouloir le dialogue. Quand on me demande la première qualité nécessaire pour être un bon entrepreneur, je réponds toujours « savoir se remettre en question ». J’ose croire que cette qualité ne serait pas en trop pour le syndicaliste que vous êtes. Si vous en êtes incapable, peut-être serait-il bon que vous suiviez une formation (le gouvernement a mis le paquet à ce niveau-là, profitez-en !).

J’insiste, M. Martinez, sur le fait que je ne suis un fervent défenseur ni du gouvernement, qui aurait dû choisir une approche bien différente, ni de cette loi travail qui ne créera pas beaucoup d’emplois, le sujet n’est pas là. Le sujet, c’est la facture qui ne cesse de s’alourdir pour des milliers de petites boites que vous étouffez un peu plus chaque jour. Ces petites boites qui sont le tissu économique français, ces petites boites qui sont les seules susceptibles de créer de l’emploi et donc de réduire les fractures sociales que compte la France. Ces petites boites, M. Martinez, je vous le répète : ce ne sont pas seulement leurs patrons que vous détestez tant, ce sont aussi les salariés qui y travaillent.