A lire sur Le Figaro

Coronavirus: Le coup de gueule d’un petit patron contre l’appel à la grève de Philippe Martinez

FIGAROVOX/TRIBUNE – Le dirigeant d’entreprise Julien Leclercq estime que le secrétaire général de la CGT fait preuve d’irresponsabilité en maintenant son appel à la grève dans un contexte déjà chaotique.

Par Julien Leclercq
Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT, 12 mars 2020
Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT, 12 mars 2020 MARTIN BUREAU/AFP

Julien Leclercq est chef d’entreprise et essayiste. Il a notamment publié Chronique d’un «salaud de patron»: Bienvenue dans la vraie vie d’un patron de PME (Les Cavaliers de l’Orage, 2013).


Je viens d’entendre Philippe Martinez appeler à la grève. Je suis chef d’entreprise, je dois faire face à une situation sans précédent dans ma vie professionnelle qui est la gestion au quotidien d’une crise sanitaire. Comme tout dirigeant en ce moment je redoute autant les effets du virus sur notre santé que sur la situation économique… et j’entends Philippe Martinez appeler à la grève.

Pour tout dire, je m’apprêtais en ce mercredi soir à prendre ma plume pour apporter mon soutien à la demande des syndicats, CGT incluse, de reporter la réforme de l’assurance chômage. Je les rejoins: durcir les règles d’indemnisation des chômeurs serait assassin dans une période où des milliers d’entreprises – et donc d’emplois – vont être menacées par le blocage économique mondial auquel elles doivent faire face.

Je milite généralement pour une certaine idée du libéralisme, sa signification réelle, pas la caricature que l’on en fait.

Je milite généralement pour une certaine idée du libéralisme, sa signification réelle, pas la caricature que l’on en fait. La liberté de l’individu de faire ses choix de vie, de se mouvoir, de croire en lui, de créer des entreprises, de ne pas en créer, la liberté d’oser… tant que tout cela, plus que jamais, s’inscrit dans un cercle vertueux, au service de l’Homme et de la planète. Oui, je prends régulièrement la parole pour dénoncer l’interventionnisme exagéré de l’état dans nos journées de chefs d’entreprise, ces journées qui sont encore bien trop faites de situations ubuesques et d’aberrations en tous genres, notamment dans nos rapports avec l’administration.

Mais il y a des moments où l’État doit jouer son rôle, assumer un statut de protecteur dans des périodes «tampon», et permettre à chacun de survivre aux accidents de la vie. Notre tissu économique est précisément en train d’en vivre un, un accident de la vie, un gros. Il a absolument besoin d’un soutien actif de nos pouvoirs publics, le temps, une fois l’urgence sanitaire passée, de se remettre en ordre de marche. Permettre, sur simple mail, d’échelonner le paiement des charges sociales est une mesure simple et intelligente. Le recours facilité au chômage partiel aussi, lui qui avait sauvé tant d’emplois en 2008 et 2009. Il faut aller plus loin, et mobiliser tous les acteurs privés et publics qui peuvent faciliter la vie des entreprises. Les banques, par exemple, dont la souplesse sera un élément clé de la résilience espérée. Il est indispensable qu’elles permettent, là aussi sur simple demande, de décaler les mensualités correspondant au remboursement d’éventuels prêts, pour les particuliers comme pour les entreprises. Il est primordial, aussi, qu’elles ne se «gavent» pas en agios et autres frais bancaires dans les mois qui viennent.

Philippe Martinez caricature comme à son habitude les dirigeants.

Philippe Martinez caricature comme à son habitude les dirigeants en regrettant que «de nombreuses entreprises ne mettent aucune mesure en place pour protéger leurs salariés». Il appelle à des contrôles. Et si au lieu de contrôles et de sanctions on envoyait pour une fois les inspecteurs aider les entreprises à faire de la prévention, à rappeler les gestes à faire ou à éviter? Que le secrétaire général de la CGT soit rassuré, le bien-être et la santé de nos collaborateurs sont des notions qui nous sont essentielles et occupent largement nos esprits en ces temps difficiles. Nous avons besoin d’aide, pas que l’on nous tape dessus.

Comme en 2008, quand une grande banque américaine s’est cassé la figure, péripétie qui nous paraissait d’un autre monde et qui a pourtant lourdement impacté le nôtre, les TPE et PME s’attacheront à faire le maximum pour préserver l’emploi, et non pas «à se servir du coronavirus comme prétexte au licenciement». Nous ne créons pas des emplois avec pour seule ambition d’y mettre fin à la première occasion, peut-être un jour M. Martinez acceptera-t-il cela.

Je suis dans le train au moment où j’écris ces lignes. Il est presque vide, les gens ont peur de se déplacer. Moi aussi, j’ai peur. Mais je suis chef d’entreprise, demain j’ai plusieurs rendez-vous clients, et je ne crois pas avoir le droit de prendre le risque de les mécontenter dans cette période où je ne suis pas sûr de les garder tous, à cause d’une foutue maladie à laquelle je prétends comprendre quelque chose uniquement parce que je regarde attentivement les directs des médias.

Diriger un syndicat appelle à une certaine responsabilité, qui ne se limite pas à appeler les autres à assumer les leurs.

Je suis dans ce train, parce que j’estime qu’il est de ma responsabilité de faire de mon mieux pour que de licenciements il n’y ait pas, lorsqu’il sera temps de faire les comptes, en mai, en juin, en juillet… qui sait? Je me bats pour croire en un lendemain heureux… et j’entends un monsieur, toujours prompt à rappeler sa suspicion envers celles et ceux qui se lèvent chaque matin pour faire vivre l’économie de notre pays, appeler à la grève. Comme pour s’assurer que rien ne survivra.

Je l’entends, dans la même minute, exiger que des mesures soient prises par les employeurs pour protéger les salariés qui seraient en contact avec le public, et encourager ces mêmes salariés à aller dans la rue, en masse, le 31 mars. Diriger un syndicat appelle à une certaine responsabilité, qui ne se limite pas à appeler les autres à assumer les leurs. Croyez-nous, M. Martinez, nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour protéger nos collaborateurs, de la maladie comme du chômage. Avec des mesures à mon sens bien plus efficaces que de les encourager à manifester en ce moment.