L’info a connu un franc succès sur les réseaux sociaux : selon l’Institut de la Protection sociale 90% des entreprises françaises seraient redressées par l’URSSAF en cas de contrôle. Le motif ? Les règles de calcul des cotisations sociales ont changé en toute discrétion, à l’insu des dirigeants de TPE et PME. Dont la plupart ne respectent donc pas, malgré eux, la législation. La question mérite donc d’être posée : les patrons français sont-ils mauvais ?

Aberrante, l’anecdote (en réalité tout sauf anecdotique au vu des sommes concernées) est pourtant d’une banalité déconcertante. Deux ans d’aventure « Salaud de patron » m’ont permis de rencontrer trois mille chefs d’entreprise, le constat est sans appel : 100 % des entrepreneurs sont convaincus d’être condamnables en cas de contrôle. Aucune structure ne peut respecter scrupuleusement, sur le long terme, les 3689 pages du Code du Travail.

Diriger une entreprise française en 2015, c’est devoir être bon en tout. Il faudrait être excellent d’un point de vue technique (sur le « fond »), parfait manager, super gestionnaire, commercial hors pair, et, chaque jour cela se confirme, expert en droit social et en droit fiscal. Une sorte de super héros des temps modernes en quelques sortes. Or, bien que l’info m’ait rendu très triste à l’époque, j’ai compris à l’âge de sept ans que les super héros ça n’existe pas.

La réalité c’est que l’on passe une grande partie de sa vie d’entrepreneur à être confronté à ses limites. Et à chercher des pistes pour les contourner, les repousser, les dépasser. C’est plus facile lorsque l’entreprise acquiert une certaine taille, on peut commencer à créer des postes là où nos lacunes sont les plus flagrantes. S’entourer de gens bons pour suppléer les jambons que nous sommes parfois. Lorsque l’on dirige une société de cinq personnes, savoir tout faire est enjeu quotidien.

Le coût du travail est l’exemple le plus parlant de cette ignorance. Quel dirigeant de PME (vous allez dire que je ne parle que d’elles. Dans la mesure où elles représentent 99,9% des entreprises françaises, cela me semble justifié) peut se vanter de savoir combien coûtera un salarié exactement dans six mois ? Quel dirigeant de TPE est capable de réponse à un employé qui pose des questions sur sa fiche de paie (questions incessantes désormais) ? Dans ma boîte, j’ai constaté qu’un collaborateur coûte en moyenne 130 euros de plus par mois qu’il y a trois ans. Et gagne 60 euros nets de moins. Je suis incapable de vous expliquer pourquoi. Tout comme je ne peux vous dire comment fonctionne le CICE, qui vient rendre environ la moitié de cette augmentation de charges. Me pencher sur la question et tenter de me faire expliquer l’inexplicable me prendrait un temps que je n’ai pas. Un temps que je préfère consacrer à développer mon entreprise. Ou largement occupé par la recherche d’idées (pas chères) pour améliorer le climat social de ma boîte, très affecté par le fait que mes équipes ont de plus en plus de mal à boucler leurs fins de mois.

Autre exemple édifiant : la médecine du travail. Très nombreux sont les chefs d’entreprise qui sont persuadés que c’est un organisme public, souvent assimilé à l’URSSAF, l’inspection du travail… Qui est capable d’expliquer pourquoi une visite chez un médecin du travail coûte six à sept fois le prix d’une visite chez le généraliste ? Le plus grave n’est pas là (enfin ça se discute…). J’ai découvert il y a peu, alors que je patientais justement dans la salle d’attente pour attendre ma propre entrevue, une brochure listant les nombreuses visites obligatoires. C’est avec stupeur que j’ai appris l’obligation pour l’employeur d’organiser pour les jeunes mamans une visite de reprise après un congé maternité. Démarche qui ne m’a jamais été signifiée, ni en tant que patron, ni en tant que mari. La loi est claire : comme souvent, en cas de problème l’employeur engage sa responsabilité civile et pénale sur ce point. Je ne vous parle pas du jour où l’on reçoit « Votre salarié est apte à reprendre le travail. Sous réserve de n’être en contact direct ni avec sa hiérarchie, ni avec ses collaborateurs, ni avec les clients de l’entreprise ». Ce jour-là, on se sent particulièrement idiot, croyez-moi.

Les règlementations qui encadrent la vie de l’entreprise sont pléthores. Nous n’en connaissons pas la moitié, ce sont pourtant elles qui sont censées régir notre quotidien. L’affaire pourrait faire sourire, elle est au contraire très grave. Les montants régulièrement astronomiques attribués par les tribunaux, notamment Prud’hommes et cours d’appel, font de leur non-respect un danger mortel pour des structures souvent fragiles. Les exemples illustrant ce propos ne sont pas rares, malheureusement.

Sommes-nous compétents ? Au vu des exigences du contexte dans lequel nous sommes censés faire évoluer nos entreprises, la réponse est évidente : certainement pas. « Les patrons sont nuls », voilà un slogan qui aurait de l’avenir auprès de la CGT et compagnie. Le véritable problème de notre pays, notamment à l’heure où il est confronté à l’une des plus graves crise de l’emploi de son histoire contemporaine, c’est que les entrepreneurs passent 90% de leurs journées à régler des problèmes très loin des raisons pour lesquelles ils se sont lancés un jour. Si on nous foutait la paix – pardon pour l’expression – alors nous pourrions nous concentrer sur le développement et la stratégie de nos entreprises. Des domaines où nous sommes bien meilleurs que ceux dont je viens de faire état.

 

Être entrepreneur c’est constater régulièrement son ignorance. Se sentir seul, voire désemparé devant des situations qui nous dépassent. Malgré tout nous continuons à y croire et à faire grandir nos idées dans un environnement auquel nous ne comprenons la plupart du temps pas grand chose. Ce qui me laisse penser qu’être entrepreneur c’est forcément être un indécrottable optimiste. Oui, cela me paraît une bonne définition : un chef d’entreprise c’est un optimiste porté sur le masochisme. Deux notions qui mises ensemble nous permettent chaque jour de nous lever avec la conviction de réussir à soulever des montagnes. Et d’oublier notre incompétence.