Depuis quelques jours, les syndicats salariés sont vent debout contre l’idée de plafonner les indemnités accordées aux Prud’hommes. On pourrait – devrait ? – n’avoir que faire de ce brouhaha incessant, lire ou entendre que les syndicats sont en colère, ça n’a rien d’original. Malgré tout, une chose rare attire l’attention : pour une fois, ils sont tous d’accord.
Impossible d’adhérer à ce point de vue quand on est un dirigeant de PME. Impossible de les comprendre lorsque l’on connait un tant soit peu la réalité d’une TPE, et encore moins envisageable si l’on a pris le temps d’échanger avec quelques entrepreneurs ces dernières années. Que défendent les syndicats en refusant que l’on moralise les décisions de justice ? De quelle valeur, de quel statut, peuvent-ils se prétendre les porte-voix en refusant qu’enfin on légifère sur le principal frein à l’embauche ?
Je ne suis pas dans le dogmatisme. Comme tout « petit » patron, les prises de position caricaturales me font bondir, on en a tous trop souffert. Personne ne relancera l’emploi en supprimant des jours fériés, et à l’inverse il faut arrêter de faire croire que les chefs d’entreprise demandent une baisse des charges pour agrandir leur piscine, ou exigent une simplification du code du travail afin d’avoir le droit de virer tout le monde du jour au lendemain. Non, pas de posture de principe ici. Un simple constat, celui d’une triste réalité facile à vérifier.
Demandez aux principaux concernés pourquoi ils n’embauchent pas, vous obtiendrez deux réponses.
- « Je n’en ai pas les moyens », et là on touche à tout ce qui concerne l’absence de croissance, le manque de visibilité, le coût du travail.
- « J’ai peur », ou, une variante effroyable : « je ne veux plus ».
Effroyable, c’est le mot. Car si un entrepreneur prend le risque et le courage de créer quelque chose dans un climat aussi morose que le nôtre, c’est bien parce qu’il croit suffisamment en lui et en son idée pour penser avec optimisme qu’il arrivera à en vivre, voire à en faire vivre d’autres que lui. Comment ces personnes-là en arrivent à répéter inlassablement que « plus jamais on ne m’y prendra, je n’embaucherai plus » ?
La faute à une évolution qui ne date pas d’hier. Les tribunaux devraient être une exception, ils sont devenus la règle. Pas seulement en droit du travail, le réflexe juridique affecte tous les domaines de la vie courante. Cette omniprésence du droit, cette procédurisation de la société (le terme n’existe pas, il a pourtant de l’avenir, bien plus qu’ognon ou aricot ver), est d’une absurdité totale. « Il m’arrive un truc, j’attaque », ça conduit les contrôleurs SNCF à préciser lors de leur annonce micro que les voyageurs « sont priés de descendre du train seulement lorsqu’il est à quai… et à l’arrêt ». Sans doute parce qu’un idiot est un jour descendu d’un train en marche au milieu de nulle part et a attaqué la compagnie qui ne l’avait pas prévenu du danger.
Dans l’entreprise, parce que là est bien là le sujet, la tendance est gravissime, elle tue des personnes. Morales en l’occurrence, quand ça ne vas pas plus loin. Trois mille chefs d’entreprise rencontrés en deux ans me l’ont affirmé : ils sont tous persuadés de ne pas respecter la réglementation. Sans savoir forcément ni où ni comment. Tous sont également conscients d’une réalité que les opposants aux réformes refusent de reconnaître : après quelques années de relation, tout salarié qui attaque son employeur a des billes pour gagner. Le quotidien d’une entreprise exige que, par moments et sans que le dirigeant soit quelqu’un de mauvais, les règles soient mises de côté. Combien de fois l’épouvantail Prud’hommes a-t-il été agité comme une menace par un salarié mécontent de n’avoir pas été augmenté ? Combien d’entreprises sont mortes à cause d’un seul procès perdu ? Combien d’emplois détruits à cause des sommes astronomiques qui sont accordées aux plaignants ? Les chiffres sont là : dans la quasi-totalité des cas, le salarié gagne son procès (les cours d’appel sont particulièrement redoutables et redoutées).
Ma PME a été amenée au tribunal une fois. Après avoir gagné en première instance, nous avons perdu en appel. Nous avons dû payer 80 000 euros, ce qui nous aurait obligé à déposer le bilan et à mettre fin à onze CDI, si notre ancienne collaboratrice n’avait accepté d’étaler le paiement de cette indemnité exorbitante. Nous aurions alors particulièrement mal vécu ses balades avec son nouveau 4×4 la semaine qui a suivi le jugement. C’est assez logiquement qu’elle raflé la mise. Ne souhaitant pas reprendre le travail après un congé maternité elle nous avait demandé de la licencier. Au nom de notre amitié. Nous l’avions fait, il n’y avait pas de rupture conventionnelle à l’époque. Trois jours plus tard, nous recevions notre assignation pour « licenciement sans cause réelle ni sérieuse ». Doit-on laisser la vie des entreprises entre les mains de personnes qui ne voient les Prud’hommes que comme un moyen de s’enrichir ?
Bien sûr, chacun souligne systématiquement « que ce n’est pas pour l’argent, c’est une question de principes ». J’ai néanmoins souvent remarqué que « chacun » préfère quand les principes sont suivis de plusieurs zéros.
Je ne souhaite pas opposer les uns et les autres. Une entreprise, c’est une aventure humaine dont l’histoire est écrite par tous, employeurs et employés. La lutte des classes me donne de l’urticaire, surtout quand elle est exercée à coup de déclarations fracassantes par des syndicats qui ne représentent plus grand monde. Alors c’est dans l’intérêt de tous que j’espère voir un jour cette mesure menée à son terme.
Les sceptiques veulent vérifier mes dires ? Qu’ils posent la question aux intéressés, dirigeants des petites entreprises dont le tissu économique français est essentiellement composé. Lorsqu’ils s’adresseront à eux, qu’ils n’oublient jamais : ce sont eux qui ont créé 80% des emplois salariés ces vingt dernières années. Ce sont eux qui pourraient créer l’emploi de demain.
Julien Leclercq
Chef d’entreprise,
Auteur de « Journal d’un salaud de patron », Editions Fayard
Fondateur du mouvement des Déplumés
J’ai vécu la même aventure de patron jeté aux Prud’Hommes. 2009, la crise, ma seule salariée n’avait plus rien à faire. On envisage une rupture conventionnelle, elle préfère le licenciement économique « pour bénéficier de la formation CSP ». Au passage, je lui propose de ne garder qu’un mi-temps dans l’entreprise, et d’effectuer un autre mi-temps (donc un temps plein au final) dans mon autre TPE de 5 salariés. Elle refuse. Soit. Prud’Hommes. Elle est déboutée de toutes ses demandes (représentant 40 000 €), la réalité du caractère économique du licenciement est reconnue, la proposition de reclassement est reconnue et validée, ses prétentions de révision de salaire rejetées (En 2 ans, son salaire avait été revalorisé de 43% par moi, et était 25% supérieur à la Convention Collective). Elle fait appel. Deux ans passent pendant lesquels je ne sais pas si je peux prendre le risque de recruter à nouveau, quels engagements financiers je peux prendre ou pas etc. Décision d’appel : licenciement économique non fondé malgré un CA passé en 2 ans de 472 000 € à 152 000 € et une perte cumulée de 72 000 €, au motif que mon autre TPE, elle, engrangeait des bénéfices et que les 2 TPE ayant le même gérant « doivent être considérées comme un groupe, et s’entre aider en cas de difficultés économiques ». Elle gagne 18 000 €. Soit la moitié de mon résultat net annuel après restructuration de l’entreprise.
J’en garde l’impression d’une injustice totale, d’une loterie, mais je suis bien plus heureux maintenant sans salarié. Je me paye bien mieux, je vis bien, je n’ai pas de pression sur les épaules, l’affaire marche très bien et a trouvé son rythme de croisière. Simplement, je ne veux plus la faire grandir. Et non, plus jamais je ne créerai en emploi, dans aucune de mes 2 TPE. Et je ne suis pas, je crois, le seul à s’être fait cette promesse. C’est mauvais pour le pays, mais c’est ce que le pays demande et encourage
Merci beaucoup pour votre site, et votre blog.
Merci beaucoup pour votre témoignage, éloquent. Bien à vous
Moi aussi: Plus jamais!
Mon entreprise à 21 ans, ce serait très long à raconter, mais seule depuis 2012, je revis…
Si ce n’était l’administration: Foutez-nous la paix!
J’ai bénéficié d’un crédit d’impôt Métiers d’Art en 2006,2007 et 2008.
2010 contrôle fiscal: appel et tout le tralala= 2014 redressement. L’histoire est ubuesque, le texte est tellement mal fichu, et surtout tellement mal interprété par l’administration,
qu’il ne peut s’appliquer à personne. (Le Sénat s’intéressera enfin à ce texte fin 2012, mais à moi on me dira: trop tard!)
Septembre 2015, contrôle URSSAF, je suis la seule salariée, ils ne trouvent rien (2007, alors qu’il y a 5 salariés, ils ont trouvé 290€)
Mais ils reviennent le mois dernier, et là ils me cherchent des poux, parce que, ayant perdu mon père, je me retrouve gérante…
Merci M. LECLERCQ J’entame votre journal d’un salaud de patron. A 1/4, je suis enthousiasmée. Et tout comme il est certain que, lorsque j’avais 25 ans, lire Alexandre JARDIN m’invita, , pour une belle part, à une telle mise en questionnements,vous lire,aujourd’hui, à 48 ans, me promets une pulvérisation majestueuse de verrous.. Il s’agissait alors de ma vie privée, et vous, vous allez me délivrée professionnellement ?.Non en fait, çà va de pair.
Et moi qui ne pensait pas avoir trop trop d’œillères ! Vous avez raison, il est grand temps, de revoir nos positions culturelles. Celles qui opposent les entités, lestant ainsi le créatif qui, sinon, émanerait de leur union.. Et faudrait se balader siflottant en bons petits avortons?
Aline,blessée au cœur et aux tripes, aimant la vie,
Depuis 1996,Bibliothécaire d’entreprise, etc..,.. au sein d’un comité d’Etablissement régional non -épanoui. Pardon pour le pléonasme.
Et zut, , lire « vous allez me délivrer » »Et moi qui pensais »
Bon très bon, ce bouquin
*