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Entrepreneur « par accident », Julien Leclercq a très vite compris qu’une organisation pyramidale n’était pas franchement la panacée pour la prise de décision. En s’installant dans son tout nouveau bureau de chef d’entreprise, il a également fait entrer dans l’entreprise familiale une expertise un peu iconoclaste de la gestion d’un collectif, certainement influencée par 10 ans d’expérience en tant qu’éducateur. Pour lui, la modernité dans l’entreprise, c’est surtout l’aptitude du chef d’entreprise à « faire adhérer ». Portrait d’un entrepreneur/éducateur – à moins que ce ne soit l’inverse – qui aime la liberté, et qui parle cash.

Même s’il est aujourd’hui à la tête de l’entreprise créée par sa mère, il n’est pas vraiment tombé dans la marmite de l’entreprise quand il était petit. Cet ancien éducateur sportif semble de fait plus passionné par les rapports humains, par le partage des savoirs, par la construction du lien social que par le business et le jonglage avec les tableaux Excel… Occitan de cœur (Com’Press, son entreprise, est installée dans un petit village aux confins du Gers et du Lot-et-Garonne), ce Parisien n’avait pourtant pas mis tous les atouts dans sa manche pour devenir un entrepreneur : il reconnaît ainsi lui-même n’avoir pas beaucoup travaillé au lycée, ce qui lui a coûté son bac…

Libérer l’entreprise

Mais lorsque sa mère, qui avait créé et dirigeait Com’Press, lui demande de la relayer à la tête de l’entreprise pour qu’elle puisse s’attaquer à un autre défi (de santé, celui-là…), il se retrouve du jour au lendemain assis dans le fauteuil directorial, avec des choix à faire rapidement et des décisions à prendre sans délai. Une situation délicate, que ce battant fan de foot choisit d’assumer à fond, mais pas n’importe comment. Pour lui, ce qui fait un « bon entrepreneur » est avant tout sa capacité à se remettre en question, à faire confiance. L’une de ses premières actions sera donc… de « libérer la prise de décision » en créant un comité de direction composé de 6 membres, donc d’autant de canaux de décision. « Parmi eux, certains n’avaient pas de postures de direction auparavant ».

Julien Leclercq en est convaincu : l’entreprise libérée est un modèle d’avenir… mais dans une certaine mesure ! S’il s’agit de laisser de l’autonomie aux collaborateurs, de miser sur leurs compétences et de leur accorder la confiance qu’ils méritent, alors oui, on peut libérer l’entreprise des carcans qu’elle s’imposait autrefois. Chez Com’Press, il n’y a pas de hiérarchie intermédiaire, les décisions sont prises à tous les niveaux. Mais il accorde une limite à cette libération, limite issue de son expérience : « Je dirige une boîte qui, aujourd’hui, va très bien financièrement, mais qui allait très mal quand je l’ai reprise, et qui a vécu 2 ou 3 moments très difficiles sur les trois dernières années. Je pense que, quand il y a une problématique économique forte et donc un gros stress chez les salariés, eux-mêmes se remettent très naturellement dans une structure pyramidale, dans un schéma de pensée très vertical ». En clair, ils s’en remettent « à Dieu plutôt qu’à ses saints », ce qui finalement va de soi. Cela justifie même, selon lui, la survivance « d’une certaine forme de « paternalisme » qui peut rassurer et sécuriser. Mais je préfère infiniment faire adhérer les équipes à un projet plutôt que de les y pousser autoritairement, au risque qu’elles n’y croient pas ».

Collaboratif : oui, mais avec un lien fort

Il en va de même pour le collaboratif. Quand on lui demande son avis sur la question, Julien Leclercq affirme y être très favorable, tout en admettant que ce ne soit pas toujours facile à mettre en œuvre. Ainsi, lorsqu’il s’agit de constituer des alliances ou des groupements pour répondre à des appels d’offre, pas de problème. Surtout dans son secteur, les agences de presse, qui ne dispose pas d’une pléthore de concurrents. « Même avec nos concurrents, il y a quand même des identités d’entreprise assez différentes, avec des cœurs de métier identifiés et un peu différents, et donc il y a des complémentarités. On s’entend plutôt bien, et cela arrive donc qu’on se parle de projets communs (au pluriel ?) ». Il considère cependant que, sans lien capitalistique, cela finit par s’essouffler : « Il y a un moment donné où, s’il n’y a pas vraiment un regroupement acté par une participation croisée, par un actionnaire commun ou je ne sais quoi d’autre, je trouve que cela risque de ne pas tenir la distance. Par contre, d’un point de vue environnemental, le champ d’action collaborative est beaucoup plus vaste, surtout dans les territoires ruraux tels que le nôtre, même si l’on y rencontre de nombreuses résistances. Pourtant les distances devraient inciter à se regrouper pour organiser le transport des collaborateurs », tempère-t-il.

Entreprendre pour apprendre, l’école de la confiance en soi

Revenons au parcours atypique de cet entrepreneur/éducateur non moins atypique, qui se définit lui-même comme un papa animé, entrepreneur et engagé, tolérant et aimant. Et qui connaît la valeur d’une parole forte : « quand on gère 40 ados qui rigolent dès que vous avez une mèche de cheveux de travers, on apprend vite la confiance en soi, et la façon de les faire adhérer à un projet ». Une expérience forte, qu’il met aujourd’hui à disposition de l’association Entreprendre pour apprendre* en en étant, depuis 2017, le président pour la France. Cette association intervient dans les collèges et les lycées pour aider les élèves à créer et gérer des mini-entreprises. « On les accompagne depuis l’idéation jusqu’à la commercialisation, sous le contrôle d’un enseignant et le parrainage d’un entrepreneur ou d’un salarié d’un grand groupe. On fait donc bosser ensemble le monde économique et celui de l’éducation, ce que je pensais impossible avant ! ». De fait, Entreprendre pour apprendre est en train d’exploser en France, avec 43 000 jeunes qui se lancent dans un vrai projet entrepreneurial avec bénéfices à la clef, reversés au choix à leur établissement ou à une association.

Prendre du recul pour ne pas être dévoré par ses idées

Éducateur un jour, éducateur toujours, donc. Ce pourrait être son cri de guerre, mais il faudrait quand même y ajouter « entrepreneur toujours », parce que finalement, ce ne sont pas des métiers si éloignés que ça : dans les deux cas, les dimensions confiance, adhésion, collectif, apprentissage sont décisives. Julien Leclercq aurait-il tout compris et tout retenu des leçons de son passé, lui qui reconnaît être incapable de se souvenir de ce qu’il faisait le dimanche précédent, ou même il y a une demi-heure ? D’ailleurs, le principal défaut qu’il se reconnaît, c’est de « lancer 15 projets par jour, ce qui est facteur de dispersion. Quand on est entrepreneur, prendre du recul est indispensable, malgré la passion, parce que quand vous avez une idée et que vous avez envie qu’elle prenne vie, ça vous dévore. Il faut savoir lutter contre cette excitation ».

Toujours est-il que cela finit par lui revenir : « ah, si ! Dimanche dernier, je jouais au foot, avec mes enfants ». Passionné, on vous dit !

*NB : Gaëtan de Sainte Marie est le président d’Entreprendre pour Apprendre Auvergne Rhône-Alpes depuis février 2019

NB encore : Je ne suis plus président d’Entreprendre pour Apprendre France depuis le 1er juillet 2020, terme de ce mandat si cher à mon coeur. Je suis désormais vice-président du Centre des Jeunes Dirigeants France, organisation d’entrepreneurs engagés.