C’est l’info de la semaine côté entreprise : les livreurs de la plateforme de livraison de repas à domicile appellent au boycott de leur employeur… pardon, de leur client, puisqu’ils sont auto-entrepreneurs. La raison : leur grille de rémunération baisse, notamment par la suppression du tarif plancher que touchent actuellement les livreurs pour les courses courtes.

La prise de parole des livreurs contestataires est particulièrement violente pour le salaud de Patron que je suis : rarement des grévistes appellent les consommateurs à se tourner vers les entreprises concurrentes pour faire leurs achats. C’est le cas ici, les porte-paroles du mouvement invitant les clients à se tourner vers d’autres enseignes comme Uber Eats.

Passons sur le fait que je doute sérieusement qu’Uber Eats ait des pratiques plus respectueuses que Deliveroo vis à vis de ses livreurs, ce n’est pas le sujet.

Le sujet, c’est que comme souvent, l’opportunité est donnée aux commentateurs d’actualité de rappeler qu’uberisation rime avec précarité.

Uberisation, c’est le terme à la mode pour décrire le remplacement du CDI des trente glorieuses par d’autres formes de travail, et notamment celle récente du recours à des prestataires auto entrepreneurs plutot qu’à des salariés. Un terme aussi moche que péjoratif au vu de l’image qu’a Uber auprès d’une bonne partie de l’opinion publique, qui oublié à mon sens ce qu’Uber a apporté à la société … Des revenus pour une population souvent très éloignée de l’emploi, mais aussi une remise en question assez fondamentale des pratiques des taxis parisiens qui arrêtent enfin de cloper dans leur voiture et commencent à prendre la carte bleue.

J’ai la conviction profonde que « l’uberisation » est inéluctable. Elle est le sens de l’histoire, on ne peut lutter contre… et ne suis pas sur qu’il le faille de toute façon.

D’abord parce que le CDI ne fait plus recette. On peut en penser ce que l’on veut, c’est factuel. Le contrat à durée indéterminée représente 5% des embauches en France. On me dit « c’est normal Jeff Bezos, fondateur d’Amazon, est un connard » quand je dis cela dans les médias… à tort, car ce n’est pas lui le sujet : ceux qui embauchent, ce sont les TPE et PME. Soit celles-ci sont toutes dirigées par des esclavagistes modernes (autre expression à la mode), soit le CDI ne répond plus aux contraintes de ces petites boites.

L’Auto-entrepreneuriat n’est pas à jeter aux orties avec Mémé. D’abord parce que contrairement aux idées reçues beaucoup d’auto entrepreneurs gagnent mieux leur vie avec ce statut qu’avec celui de salarié.

Ensuite parce qu’il répond à des attentes de ceux qui le choisissent. Il permet facilement de compléter ses revenus lorsque l’on est salarié, retraité ou chômeur. Ensuite parce qu’il fait de vous votre propre patron, ce qui plaît notamment a beaucoup de jeunes, très exigeants quant à la garantie d’une certaine liberté au quotidien. La liberté de choisir ses horaires par exemple.

Et c’est là que le bat blesse dans cette actualité Deliveroo. Le choix. Les livreurs ont ils choisi d’être auto-entrepreneurs ou le subissent-ils ?

L’auto-entrepreneuriat doit respecter certains critères pour ne pas être requalifié en salariat déguisé. Au coeur de ces critères celui de travailler pour plusieurs clients et non pour un client unique et celui que la collaboration ne présente pas de rapport hiérarchique évident.

Les livreurs de Deliveroo racontent travailler 50 heures par semaine pour la plateforme. Ce qui leur laisse à mon avis peu de temps pour avoir d’autres clients. Et il apparaît qu’après quelques minutes d’immobilisation Deliveroo les contacte pour savoir s’il y a un souci. Une traçabilité constante qui laisse imaginer une hiérarchie certaine. Pas sur donc qu’on soit vraiment dans le cadre légal de l’autoentrepreneuriat.

Ce procès médiatique Deliveroo ne doit pas être celui du statut inventé par Hervé Novelli du temps de Sarkozy qui a permis à des centaines de milliers de français de percevoir de nouvelles sources de revenus. Il apparaît évident que le droit social devra trouver sa place dans la pérennisation et la généralisation de ce statut, mais ne faisons pas ce que nous savons si bien faire en France : complexifier, taxer, et surreglementer un truc au depart hyper simple. Simplement parce que certains en abusent ou en abuseraient.