Tribune parue dans Le Point

 

45000 euros. C’est ce que risquent les entreprises qui ne respecteraient pas l’obligation à venir de contrôler que leurs clients sont bien en possession du pass sanitaire, bientôt indispensable pour accéder à … bref, vous savez.

L’Etat confirme par cette mesure qu’il fait peser sur les entreprises, comprenez les restaurants, bars, salles de spectacle… les nouvelles restrictions à venir. Pas que sur les entreprises, d’ailleurs, puisqu’en menaçant d’un an de prison « les exploitants » récalcitrants, c’est directement à leurs dirigeants que l’Etat adresse un message on ne peut plus clair.

Je suis pour la vaccination. Je suis entrepreneur, et j’ai entre autres eu la bonne idée de racheter un bar en 2020 (parfois on est inspirés, parfois, comme dirait l’autre, on apprend). Comme la majorité de mes semblables, j’ai vu nos entreprises souffrir, se déliter, depuis bientôt dix-huit mois. Il a fallu réinventer chaque jour de nouvelles façons de faire vivre nos organisations humaines, notre travail, notre vivre ensemble, nos engagements, nos valeurs. Nous avons souffert économiquement, bien sûr, mais je parle ici et surtout de notre rôle majeur de créateur de lien social. Les arrêts de travail se sont multipliés dans des proportions jamais vues, les burn-out aussi, la consommation d’anti-dépresseurs a explosé… A tout ça, parce que nous sommes l’un des derniers lieux de vivre ensemble de la société, nous avons tenté d’apporter des réponses tout au long des vagues successives, avec plus ou moins de succès. Nous n’avions pas les règles, nous avons écrit cette page de notre histoire au rythme des communiqués de presse du gouvernement, qui lui aussi, je le reconnais, a dû naviguer dans un flou artistique rarement atteint.

Evidemment, nous ne pouvons nous permettre un nouveau confinement, ni pour des raisons financières, ni pour des raisons humaines, et nous devons tout faire pour l’éviter. Alors oui, je suis pour la vaccination, et pour que l’on fasse tout ce qui est possible pour accélérer « l’immunité collective ».

Mais cela ne m’empêche pas d’avoir la nausée à la lecture des nouvelles qui défilent depuis la déclaration d’Emmanuel Macron lundi soir.

Que l’Etat rende la vaccination obligatoire pour tout le monde, ce qu’il fera sans doute dans quelques mois d’ailleurs, et qu’il assume sa décision. L’entre-deux incompréhensible dans lequel les nouvelles mesures nous plongent est totalement insupportable.

Lundi soir, Emmanuel Macron a déclaré vouloir reconnaître le civisme et « faire porter les restrictions sur les non-vaccinés plutôt que sur tous ». Cela s’entend, j’applaudirais presque. Malheureusement, ce n’est pas ce qui se passe. Ce serait vrai, si les contrôles de pass sanitaire étaient faits sur les personnes et non sur les établissements les recevant. Les clients décident de venir, ou de ne pas venir, en leur âme et conscience. Comme sur plein d’autres sujets, ils pourraient être contrôlés et verbalisés directement s’ils n’ont pas respecté les règles. Mais non : l’Etat choisit ici de mettre en cause les bars, les restaurants, les théâtres… nous obligeant à faire un truc ignoble, aux antipodes de nos valeurs et des raisons pour lesquelles nous avons fait ce métier d’accueil : trier à l’entrée.

Avec tout le respect que j’ai pour eux, je suis restaurateur, pas flic ou gendarme. Refuser des gens qui ont pourtant fait un choix que notre pays leur donne à ce jour très hypocritement le droit de faire, ce n’est pas mon métier. Je ne sais pas comment procéder et j’appréhende très sincèrement les scènes qui vont se jouer à l’entrée de nos établissements. Et qui, je le redis, laisseront des traces.

Deuxième aberration : l’Etat confirme que les contrôles auront lieu dès le 2 août. Les millions de personnes qui ont pris rendez-vous pour une première piqûre depuis l’allocution du Président de la République ne seront pas éligibles avant la fin août au certificat de vaccination. Nous les condamnons donc, soit à annuler leurs vacances, soit à faire des PCR tous les deux jours. Il en va de même pour notre personnel. Si, comme Emmanuel Macron l’a laissé entendre, l’objectif est de créer une vraie accélération de la vaccination chez nos compatriotes, objectif qui semble être atteint au vu des propos des équipes de Doctolib qui annoncent un pic à 18000 rendez-vous par minute, alors pourquoi ne pas démarrer les contrôles en septembre ? Il est techniquement impossible de vacciner les millions de personnes qui le souhaitent en quinze jours. Comment ne pas prendre cela en considération ?

L’impact économique et social de ce timing hallucinant, avec pour résultat l’annulation de nombreuses vacances ainsi qu’une baisse de fréquentation très forte de nos établissements, alors même que nous avons déjà constitué nos équipes de saisonniers, va être colossal. Si j’ajoute à cela les très nombreuses questions soulevées au niveau du droit du travail (que faire par exemple de nos collaborateurs qui refusent catégoriquement de se faire vacciner ?) et le fait que nos métiers étaient déjà très en tension avant la crise, cette décision de maintenir des contrôles début août est totalement incompréhensible. Les conséquences vertueuses du pass auraient pourtant été tout aussi nombreuses si l’on avait annoncé un couperet à la rentrée.

Je m’arrête là, mon service démarre dans quelques minutes. Un service avec déjà moitié moins de clients qu’il y a trois jours. Je trouve totalement injuste et révoltant que nos établissements doivent supporter la charge de cette obligation vaccinale qui ne dit pas son nom, et préfèrerait nettement que l’Etat assume ses décisions. Et ne peut qu’être incrédule devant l’impossibilité laissée aux millions de Français de se faire vacciner avant les premiers contrôles, et ce en pleine saison.

 

Julien Leclercq

Propriétaire d’un café-restaurant dans le Gers,

Auteur du blog salauddepatron.fr